Le grand art de ne pas se faire duper
Il y a des histoires qui se fument autant qu’elles se racontent.
L’une d’elles commence sur un trottoir de La Havane, un soir où l’air sent le sel, le moteur des vieilles Chevrolet, et ce mélange indéfinissable de cèdre et d’épices que seuls les bons tabacs portent en étendard.
Un homme s’approche. Il parle bas : un cousin, un oncle, un ami « à l’usine ».
Une boîte « qui ne devait pas sortir ».
Le ton est complice, la promesse, alléchante. Le prix est irrésistible. Vous connaissez la fin : on l’ouvre plus tard, loin du bruit, et quelque chose cloche. Dans la lueur, dans l’odeur, dans la façon dont la bague accroche la lumière.
Ce n’est pas un drame. C’est une leçon.
Et c’est par là que commence ce guide : par l’expérience.
Parce qu’identifier un faux n’est pas réciter une checklist ; c’est apprendre à voir, à sentir, à douter, à comprendre comment un Habano authentique raconte sa vérité, du bois de sa boîte jusqu’à la dernière cendre.
1. Pourquoi tant de faux ? Le décor et les enjeux
On se tromperait à réduire les contrefaçons à des babioles pour touristes.
C’est un marché parallèle structuré, alimenté par des marges vertigineuses et une demande mondiale pour les grands noms — Cohiba, Montecristo, Partagás en première ligne.
Dans l’ombre, des chinchales — ateliers clandestins — roulent des cigares avec des tabacs de seconde zone, des tripa corta (hachures), parfois des matières non-tabac.
Quand une bague copiée et une boîte imitée suffisent à transformer vingt dollars de coûts en plusieurs centaines à la revente, l’incitation au crime est évidente.
En 2025, plus de 9 000 cigares ont été saisis à l’aéroport de La Havane.
Une opération d’INTERPOL (Crete II) en Amérique du Sud a intercepté 11 millions de produits contrefaits, pour une valeur estimée à 225 millions de dollars.
« La contrefaçon et le marché noir sont deux fléaux qui affectent énormément l’image du Habano, parce que d’une part le produit est faux, et que d’autre part cela mine le réseau de distribution commerciale qu’avec tant d’efforts nous avons créé. »
— Adargelio Garrido, Directeur juridique de Habanos S.A.
Moralité : entrer dans l’univers du Habano, c’est aussi apprendre à défendre sa propre dégustation.
2. La règle d’or — L’adresse, pas le hasard
Avant la technique, le réflexe : n’achetez que chez des revendeurs agréés.
En France, fiez-vous aux civettes réputées ; à l’étranger, aux Casas del Habano et aux distributeurs agréés : seuls eux garantissent l’authenticité.
Tout le reste — rue, plage, appartement, petites annonces, “un ami à l’usine” — n’est pas un pari : c’est une certitude de déception.
Prix de référence à Cuba
- Partagas D4 : ≈ 21 €
- Cohiba Siglo 6 : ≈ 106 €
- Romeo y Julieta Churchills : ≈ 26€
Un Cohiba à 25€ ?
C’est une Rolex neuve à 100 €.
L’arithmétique tranche, sans appel.
3. La boîte qui parle — Lecture sensible d’un écrin
Imaginez la scène dans une Casa del Habano :
on pose la boîte sur le comptoir.
La laque retient la lumière, les charnières jouent sans grincer, le doigt glisse. Rien ne dépasse.
Une boîte, c’est un prologue. Et un prologue s’écoute.
Le signe qui tue
Aucune boîte de Habanos authentique n’a jamais de couvercle en verre ou plexiglas.
Si le couvercle est transparent, c’est faux à 100 %.

Un exemple frappant de contrefaçon : une fausse boîte de Cohiba, où tout trahit l’imposture: couvercle en plexiglas, étiquettes jetées en vrac, sceau vert à droite, absence totale du soin et de la rigueur propres aux véritables Habanos.
La qualité générale
- Les boîtes Cohiba sont laquées (hors rares éditions).
- Les étiquettes doivent être collées, jamais en vrac.
- Une boîte non vernie, des charnières grossières, une impression floue : mauvais signe.
Les sceaux officiels
Chaque boîte authentique porte plusieurs empreintes :
- Le sceau vert de garantie, collé à gauche, traversant l’ouverture. Depuis 2010, il comporte un hologramme, un code-barres unique et réagit aux UV.
- Le sceau Habanos D.O.P., en haut à droite, phosphorescent sous UV.
- Le sceau importateur, apposé dans les pays agréés. Son absence, en France, est suspecte.
- Ces marques ne sont pas décoratives : ce sont les tampons de passage d’un objet d’exception.

Exemple authentique d’une boîte de Cohiba Siglo VI : sceau vert de garantie, inscription Habanos D.O.P., marquages en relief et laque impeccable. Sur le marché français, s’ajoutent le sceau de l’importateur Coprova, celui de traçabilité, ainsi que les mentions sanitaires réglementaires
À noter : le numéro figurant sous le code-barres du sceau vert a été volontairement masqué ici, mais il doit impérativement être présent sur une véritable boîte.
Le dessous de la boîte (cuño)
Touchez le bois : cherchez le relief.
Les inscriptions suivantes doivent être gravées à chaud, pas imprimées :
- Habanos s.a.
- Hecho en Cuba
- Totalmente a Mano
Et un tampon encreur indique :
- le code usine (lettres secrètes)
- le mois et l’année (en abrégé espagnol)

Dessous de boîte authentique de Cohiba Ambar : les inscriptions Habanos S.A., Hecho en Cuba et Totalmente a mano sont finement gravées dans le bois. À droite figurent le code de la manufacture — ici SPM — ainsi que la date de production, décembre 2024.
4. La vérification numérique — Utile, mais jamais juge unique
Sur le site officiel verificacion.habanos.com, entrez le code-barres du sceau vert.
Et pour les éditions très exclusives, certaines boîtes disposent d’une puce NFC scannée via smartphone.

Capture d’écran du site officiel de vérification Habanos. Chaque véritable boîte de cigares cubains porte un numéro unique sous le sceau vert : sa saisie sur le portail authentifie la provenance du produit et confirme qu’il s’agit bien d’un Habano certifié.
5. Le cigare lui-même — Quand la vérité passe par les mains
On ouvre la boîte.
L’odeur vous accueille comme un salon boisé : cèdre, miel, épices, terre.
Une boîte authentique “sonne juste” avant même qu’on la regarde.
L’œil
- Taille et teinte homogènes ;
- Triple coiffe (trois cercles nets au sommet) ;
- Cape lisse, légèrement huileuse ;
- Pied dense et régulier.

Photo d’un véritable Cohiba Robusto : on distingue nettement la triple coiffe
La bague
Les bagues authentiques sont de véritables micro-gravures :
- Impression nette et en relief.
- Alignement parfait entre cigares d’une même boîte.
- Pour Cohiba : neuf rangées de carrés blancs, Tête Taïno holographique (avec tête interne), hologrammes “Cuba” et “Taïno” sur les bandes dorées, lettres dorées en relief.

Ici, la bague trahit immédiatement la supercherie : absence du liseré blanc autour du Taino, bandes dorées dépourvues de l’hologramme Cohiba, et quadrillage blanc débordant grossièrement sur le reste de la bague.
Cas Cohiba Behike
- Bague ultra-sécurisée : hologrammes multiples, 3D, bande au dos.
- Conditionnement unique : toujours en boîtes de 10.

Bague authentique d’un Cohiba Behike 52
Les sens : toucher, odeur, cendre
- Toucher : ferme mais souple, densité régulière.
- Odeur : profonde, aromatique, évoquant le miel, le bois, le cuir.
- Cendre : grise “sel et poivre” sur un vrai cubain.
Le test ultime
En cas de doute, coupez le cigare dans la longueur.
Un véritable Habano est normalement roulé en tripe longue (tripa larga), avec de grandes feuilles entières soigneusement disposées.
Quelques exceptions existent toutefois : certaines références plus accessibles, comme José L. Piedra, Quintero, Rafael González Panatelas Extra, La Flor de Cano Elegidos ou Por Larrañaga Montecarlo, sont fabriquées en tripe courte (tripa corta).
Leur prix modéré les rend toutefois très rarement concernés par la contrefaçon.
6. Les leurres les plus fréquents
| Indicateur | Description |
|---|---|
| Prix trop bas | Un Cohiba Espléndidos à 10 € ? Impossible. |
| Boîte à couvercle transparent | 100 % faux. |
| Cigares “barber pole” | Jamais produits à Cuba. |
| Éditions limitées fictives | Ex. “Cohiba EL 2015” — n’a jamais existé. |
| Conditionnements impossibles | Behike toujours en 10. |
| Étiquettes non collées | Indice certain d’assemblage frauduleux. |
7. Études de cas — Cohiba, Behike, Éditions limitées
Cohiba : la marque la plus imitée
Sa notoriété attire les faussaires.
La clé : compter les rangées, sentir le relief, observer la précision du gaufrage.
Behike : l’illusion du luxe
Les vraies boîtes sont d’un noir laqué profond, souvent livrées dans un étui carton sur lequel figurent les sceaux.
Toute boîte de 25 est fictive.
Éditions limitées
Avant d’acheter une “EL”, vérifiez le calendrier officiel de Habanos.
Les faussaires adorent inventer des années inexistantes.
8. Trois boucliers infaillibles
1. Le prix
Un cigare cubain n’est jamais une aubaine.
L’excellence a un prix, elle ne se brade pas.
2. Le canal
Achetez uniquement via des revendeurs agréés.
Les Civettes (en France), Casas del Habano (à l’étranger) sont votre garantie ultime.
3. Les outils
- Vérificateur officiel Habanos (code-barres, NFC).
- Lampe UV pour observer les réactions des sceaux.
- Et surtout : vos sens. Ils ne mentent jamais.
9. Feuille de route d’un achat serein
Avant d’acheter :
- Le vendeur est-il agréé ?
- La boîte a-t-elle une laque correcte ?
- Les sceaux sont-ils au bon endroit ?
- Le dos est-il gravé à chaud ?
- Les bagues sont-elles alignées ?
- L’odeur est-elle riche et cohérente ?
- Le prix est-il crédible ?
10. La dégustation: L’épreuve de vérité
Un vrai cubain n’a rien à prouver.
Il s’installe lentement : bois précieux, café torréfié, cacao, notes épicées et sucrées.
Un faux, lui, crie dès la première bouffée : âpre, amer, déséquilibré.
La cendre grise et la combustion lente du vrai parlent mieux que tous les sceaux.
11. Conclusion: L’excellence par la vigilance
Protéger votre dégustation, c’est protéger un héritage vivant :
Des terres singulières, des gestes transmis, une culture du temps long.
Trois principes résument tout :
- Connaissance : votre connaissance et votre culture seront vos meilleures armes contre la contrefaçon.
- Scepticisme économique : aucune bonne affaire n’existe dans le monde du luxe artisanal.
- Rigueur : acheter uniquement dans les canaux officiels.
Ce n’est pas de la méfiance, c’est de la courtoisie envers votre plaisir.
Un Habano authentique ne se marchande pas : il se mérite et se respecte.
⚠️ Avertissement sanitaire
L’abus de tabac et d’alcool est dangereux pour la santé. À consommer avec modération. La vente de tabac est interdite aux mineurs.
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